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L’affaire de l’église

Chaque paroissien veut bien sûr midi à sa porte et l’église à son seuil. On avait donc décidé en mai 1838 d’élever la nouvelle église au flanc de la colline surmontant l’ancienne route royale menant à Lyon, juste au dessus du relais de la poste à cheval et à distance quasi égale des points les plus éloignés de la commune. L’ordre et l’harmonie régnaient à nouveau à Nerpol et Serres*, unies à la fois par la foi et par une conjonction de coordination dont le sens allait s’estomper au fil du temps et des évènements.

Une génération plus tard, les enfants des contestataires de mai 38 remettent ça !

Après l’église, c’est cette fois du côté de l’école primaire qu’il faut aller voir…

Dans ce temple du savoir, l’instruction publique, sous les régimes politiques successifs, a toujours prôné la séparation des sexes. Il faut préserver la moralité et les bonnes mœurs ! Un décret du 27 brumaire An III obligeait déjà à séparer ici filles et garçons. La restauration par ordonnance du 29 février 1816 a confirmé péremptoirement : "Les garçons et les filles ne pourront jamais être réunis pour recevoir l’enseignement ». Nos élites pensantes en ont de bonnes ! Ils ne sont pas à la place des maîtres isolés dans leurs campagnes, obligés d’accueillir les garçons le matin puis les filles le soir. Travailler plus pour gagner autant ?"

Pas d’école pour les filles ?

La loi Guizot de 1833 a imposé aux communes de plus de cinq cents habitants l’ouverture d’une école de garçons, dirigé par un instituteur, les éventuelles écoles de filles devant l’être par des institutrices (ce n’est qu’en 1867 que Victor Duruy ministre de l’instruction exige l’ouverture d’une école supplémentaire d’une école de filles dans ces mêmes communes et crée les caisses des écoles pour les élèves nécessiteux). Nos petits villages ne peuvent entretenir deux écoles et rémunérer un maître et une maîtresse. Les filles-dont le sort est d’être bonnes épouses et bonnes mères- ont-elles besoin d’éducation ? Certains posent la question et s’étonnent. D’autres commencent à réclamer leur scolarisation.

Sous la monarchie de Juillet, le conseil royal de l’instruction publique autorise l’admission des filles avec les garçons. Mais sous conditions draconiennes de séparation matérielle et permanente dans les classes. Les avis du 13 août 1833, 22 décembre 1835 et 8 janvier 1836 rappellent cette obligation et déterminent la hauteur de la cloison de séparation : d’abord à 1 mètre minimum, que la II ième République élèvera à 1 m 50 selon règlement du 17 août 1851 article 99.

Ce même texte prévoit qu’on attendra un quart d’heure entre la sortie des garçons et celles des filles pour éviter "toute rencontre malséante"… alors que tous se côtoient aux champs et sur les chemins où nulle frontière ne se dresse.

La bonne hauteur

L’école de Nerpol et Serres*, cultivant le paradoxe, est à la fois mixte et séparée. La rentrée de 1861 fait recette ; les gros travaux des champs passés, la main d’œuvre enfantine peur se reposer à l’école. Mais la salle de classe s’avère trop exigüe pour contenir tous les enfants et de plus elle ne dispose pas de la fameuse cloison. Quelle offense aux bonnes mœurs ! D’autant que c’est un maître qui fait la classe aux filles et ne peut leur enseigner la couture et autres connaissances nécessaires et indispensables à leur sexe. Les élus sont convoqués en urgence par le maire. En attendant mieux on parquera les filles dans le logement du maître et madame l’épouse de l’instituteur les surveillera, à défaut d’une institutrice brevetée. Deux ans plus tard, le soufflé est retombé et le maire pensant agir au mieux – loue la maison de Joseph Allégret pour agrandir l’école et servir de cour de récréation. Seulement, le bâtiment a un défaut : il est au bord de la route et près des auberges et du pont.

Ni aveugles, ni sourds

Ca repart de plus belle ! Protestation des parents : « C’est trop dangereux ! ». La route est classée comme chemin vicinal de grande communication et d’intérêt commun et ordinaire

(à la charge de la commune, sous la surveillance du préfet) et la circulation- bien que sporadique peut y être dangereuse pour les écoliers insouciants. Mais les parents sont renvoyés sans ambages par le maire à leurs chères études, aux côtés de leurs rejetons :

« N’étant ni aveugles, ni sourds, ils verront ou entendront les voitures, et on posera des barrières au pont s’il le faut ; quant aux auberges, l’instituteur pourra accompagner ses soixante élèves jusqu’à la sortie du village ». Clair et net !

C’est à cette époque que la gent féminine affirme son droit au savoir : la première bachelière, l’institutrice Julie Daubié est admise à l’université de Lyon en 1863 à l’âge de trente sept ans ! Et dire qu’on lui avait dénié droit de se présenter au baccalauréat durant dix ans, cette prétention étant jugée outrecuidante et ridicule. Le ministre refusera d’ailleurs de signer son diplôme, qui ne sera officialisé qu’après intervention de l’impératrice Eugénie en personne.

Un métier d’homme

Le métier de maîtresse d’école n’est pas sans embuches : la France compte alors 16 422 écoles publiques mixtes dont 10 % seulement dirigées par une femme, proportion qui triplera sous Jules Ferry.

En 1867, les élus de Nerpol et Serres* votent une imposition supplémentaire de dix centimes sur quatre taxes pour acheter un terrain et bâtir une maison d’école. En 1875, on rajoute douze centimes aux prélèvements. Et le 24 février 1876, le conseil municipal choisit un terrain appartenant à Joseph Bouvier et l’acquiert le 13 août suivant. La cagnotte amassée pour la construction de l’école s’élève à 3694 francs et 12 cts. Et on raclera tous les fonds de tiroirs pour compléter. On touche au but ! Sauf que…

Patatras ! Voilà qu’aux élections, le conseil municipal change et que le choix antérieur est contesté au profit d’un terrain de Sylvain Veyret qui comporte déjà un bâtiment. D’accord pour 10200 francs ! Mais des voix s’élèvent, des pétitions circulent, les esprits s’échauffent.

La municipalité reste inflexible : « La sagesse du conseil est grande et il fait fi de ces protestations portées par un tissu de mensonges ». Le conseil passe outre : « Il est décidé de promptement acquérir le terrain et son bâtiment ».

Hâtons-nous lentement

La promptitude est relative ici, car le projet ne sera réalisé qu’en 1904, presque trente ans plus tard. Hâtons-nous, mais lentement… Entre temps, le ministre de l’instruction publique René Goblet a publié une loi le 30 octobre 1886 autorisant les écoles mixtes à classe unique dans les hameaux ou les communes de moins de cinq cents habitants pour résoudre le souci des locaux et le manque d’instituteurs. En revanche, les communes de plus de cinq cents habitants gardent l’obligation d’entretenir une école de filles, sauf avis contraire du conseil général. La loi supprime aussi pas toujours dans la ou les mentalités- la fameuse cloison séparative. Ces considérations matérielles vont permettre une évolution progressive, quoique lente, qui sera encouragée par celle des mentalités et de la société.

Jules Ferry va créer dans l’enseignement secondaire les premières écoles de filles : entre 1894 et 1899 s’ouvrent ainsi plus de huit mille cours féminins dont l’enseignement est dispensé par des femmes, elles mêmes formées dans écoles normales de filles, qui existent maintenant dans chaque département. Ce n’est toutefois qu’en 1924, avec le décret pris par Léon Bérard que les filles reçoivent le même enseignement secondaire que les garçons. Le degré de civilisation d’une société se mesure d’abord à la place qu’y occupent les femmes approuvera plus tard un chef d’état.

Cent ans après.

Au fil des décennies et de l’exode rural, il ne reste bientôt à Nerpol et Serres qu’une seule classe mixte dans cette école sans barrière…. Qu’un regroupement scolaire avec Chasselay a permis de sauver puis de moderniser en 2005, cent ans après. La nouvelle école de Serre Nerpol fut donc inaugurée le samedi 22 octobre 2005 à l’heure de la récréation ; l’histoire retiendra que c’était en présence d’André Vallini, député et président du conseil général de l’Isère, de Jean-Claude Coux, conseiller général du canton et président de la communauté de communes de Vinay, de Serge Bienvenu, inspecteur de l’éducation nationale, des élus des communes de Chasselay et de Serre Nerpol dont Alain Rousset, le maire local, de Melle Derail directrice et institutrice de l’école, des parents d’élèves, de M. Dubuc architecte et des chefs d’entreprises. Cette fois, pas de protestation ni de récriminations. C’est reparti pour un siècle ?

Merci à Bernard Giroud pour l'aimable autorisation d'utilisation

Sources : archives communales de Serre nerpol

archives départementales

François Jacquet-Francillon :"Instituteurs avant la République" éd Presse Universitaires du Septentrion, 1999

Louis Henri Parias :"Histoire génrale de l'enseignement et de l'éducation en France, 1981

Revue Etudes : la mixité à l'école Premier bilan décembre 1987

Marie Duru- Bellat L'école des filles; 1990

Rapport Stasi : Réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, 2003

*Nerpol ou Serres ?

Un détail a du attirer l’attention du lecteur perspicace. Dans ce récit, le nom du village est passé de Nerpol et Serres à Serre Nerpol. Changement de prédominance ? Chute d’influence du château de Nerpol ? Migration de population vers un nouveau centre ? Modification du circuit de la poste ? Et ces serres qui passent du pluriel au singulier ? Bizarrerie administrative ?

En fait c’est le conseil municipal du 1er novembre 1903 qui demanda cette nouvelle appellation. Une décision soumise aux enquêtes et aux avis successifs du conseil général, du sous secrétaire d’état des Postes et Télégraphes, du ministre de l’Intérieur et des cultes, du ministre de l’instruction publique, du conseil d’état. Et enfin après accord de tout ce beau monde, c’est le président de la République Emile Loubet en personne qui parapha le décret le 18 juillet 1904. (voir le décret onglet arrêté du Président Loubet)

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